La langue que je parle, que j’écris, la langue que l’on enseigne, celle des dictionnaires et des médias, suit un certain nombre de règles : pourquoi, quand et comment décide-t-on qu’elles ne sont plus adaptées ? Troisième volet de notre série consacrée à la langue, au genre et au sexe en 6 épisodes.

La langue : la meilleure et la pire des choses

« qu’y a-t-il de meilleur que la langue ? […] C’est le lien de la vie civile, la clef des sciences, l’organe de la vérité et de la raison […] la langue est la pire chose qui soit au monde : c’est la mère de tous débats, la nourrice des procès, la source des divisions et des guerres. »

« La Vie d’Esope le Phrygien », Fables, Jean de la Fontaine

Moyen de débattre, mais également sujet à débat : la langue est tour à tour louée puis accusée, tantôt libératrice et tantôt tyrannique, le terrain pour m’exprimer et ses propres limites. À coup de ça ne se dit pas, on nous rappelle qu’elle n’est pas si souple qu’on le voudrait : si toutes ses règles et ses codifications ne sont pas immuables – ce serait le cas d’une langue morte – on les a si bien intégrées que les remettre en question introduit nécessairement un conflit, d’abord intérieur : la langue que je connais et que je maîtrise ne serait pas appropriée ? Elle devient soudain réajustable, parce que d’autres l’ont décidé… Dès lors le conflit oppose rapidement les locuteurs : ce réajustement a beau être perçu par certains comme fondamental, d’autres le trouveront absurde, certains en feront une lutte idéologique quand d’autres n’y verront qu’une perte de temps.

La première question à se poser, c’est donc pourquoi : on ne décide pas de changer les règles du jeu du jour au lendemain sans une bonne raison. Que cette raison-là n’ait pas gain de cause aux yeux de tous n’en fait pas une chimère, car si la question fait tant de bruit c’est qu’une partie des locuteurs estiment que leur langue est en défaut, et c’est suffisant pour mériter l’intérêt de tous.

Dire du jour au lendemain, c’est d’ailleurs une première maladresse : ce n’est pas parce qu’elle est aujourd’hui l’objet de virulences relayées de toutes parts que la discussion est récente… Elle a fait son chemin, et savoir depuis quand permettra de la resituer dans le contexte qui l’a vue naître : la condamner d’emblée comme un caprice, une lubie, c’est un peu facile.

Autre question de taille : par qui ? À qui revient-il en effet, de statuer sur ces règles et d’arbitrer un débat qui nous concerne tous ? À qui revient-il de juger de la pertinence ou de la justesse d’une langue employée par des millions de locuteurs ?
Et sur quel type d’arguments s’appuyer : faut-il faire appel au travail des linguistes, à celui des historiens, faut-il se fier à l’usage et se contenter d’en rendre compte, ou suivre l’exemple d’autres langues qui ont déjà réglé la question ?

Il faudrait aussi prouver que le jeu en vaut la chandelle : c’est-à-dire que la dimension a priori sexiste ou non-sexiste d’une langue, puisque c’est le sujet qui nous intéresse, impacte réellement les sociétés dans lesquelles elle est parlée.

Si même il advient que la langue est sexiste, comment convient-il de réagir : faut-il agir sur la langue, la forcer à répondre à nos attentes, ou laisser l’usage faire, quitte à ce que la question resurgisse plus tard ? Agir sur la langue, imposer de nouvelles normes dont on ne peut s’assurer qu’elles seront adoptées, n’est-ce pas risquer de la compliquer, de la dénaturer ? Si au contraire, on la simplifie, ne va-t-on pas vers une perte de sens ?

Et enfin ce type d’écriture ne concerne-t-il, précisément, que l’écriture ? Parle-t-on plus justement d’écriture inclusive ou de langage inclusif ? Les propositions de ses adeptes valent-elles pour une utilisation ciblée – textes de lois, offres d’emplois, articles de presse – ou quel que soit le contexte ?

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Pourquoi ?

« Il y a chez beaucoup, je pense, un pareil désir de n’avoir pas à commencer, un pareil désir de se retrouver, d’entrée de jeu, de l’autre côté du discours, sans avoir eu à considérer de l’extérieur ce qu’il pouvait avoir de singulier, de redoutable, de maléfique peut-être. […]
Et l’institution répond: « Tu n’as pas à craindre de commencer ; nous sommes tous là pour te montrer que le discours est dans l’ordre des lois ; qu’on veille depuis longtemps sur son apparition ; qu’une place lui a été faite, qui l’honore mais le désarme ; et que, s’il lui arrive d’avoir quelque pouvoir, c’est bien de nous, et de nous seulement, qu’il le tient. » »

L’ordre du discours, Michel Foucault.

S’inscrire dans une langue : se réapproprier quelque chose qui a déjà ses normes, qui existe avant et en dehors de soi. Une langue déjà véhiculaire de notions et de discours sur lesquels seul(e), je n’ai pas de prise. C’est accepter au quotidien les approximations, c’est accepter de dire parfois plus que je ne le voudrais, ou moins. C’est choisir parmi un champ restreint de possibilités : l’indéfini ou le défini, le vouvoiement ou le tutoiement… le masculin ou le féminin.

Or, ce dernier choix est encore limité, en français notamment, par la fameuse règle le masculin l’emporte sur le féminin – le cheval de bataille de celles et ceux qui prônent l’écriture inclusive, et considèrent qu’une règle grammaticale peut être le vecteur d’une idéologie :
« ces réflexes de rédaction qu’on leur a enseignés influencent et nourrissent un imaginaire sexiste où l’homme prédomine » écrit Katherine Marin.

Que cherche-t-on en battant en brèche, non pas une formule malencontreuse, mais la règle elle-même : une reconnaissance symbolique ? Un changement social, convaincu qu’il passe par un changement d’ordre linguistique ? Ou les deux ?
D’après Laélia Véron, il s’agit de « représenter les femmes à égalité avec les hommes dans le langage ». L’enjeu serait donc celui de la représentation, de la visibilité : c’est supposer que le masculin ne peut avoir la valeur de générique qu’on lui prête et représenter aussi bien les hommes que les femmes, à l’instar du mot Homme, orné de sa majuscule, que Laélia Véron appelle
« une aberration ». Éliane Viennot parle quant à elle de « plaisanterie », assurant que « le masculin est le masculin, qu’on le veuille ou non ».

Si inclure idéologiquement les femmes demande de les inclure linguistiquement, il faudrait dire par exemple les droits humains. Et pourtant…

C’est peu dire que Mélissa Plaza, footballeuse professionnelle et docteure en psychologie sociale, auteure notamment d’une thèse sur les Stéréotypes sexués explicites et implicites en contexte sportif, s’y connaît en matière de sexisme. Lorsqu’elle cite l’article 4 de la charte olympique, qui dit que la pratique du sport est un droit de l’homme, elle propose de réécrire la phrase. Mais elle ne dit pas droit humain, elle propose tout simplement « un grand H » : la pratique du sport est un droit de l’Homme. Le mot en lui-même ne semble pas la choquer, tant il est admis que la majuscule dans les grands Hommes ou les droits de l’Homme englobe les deux sexes.

Est-ce que parce qu’on a si bien intégré cette pirouette, est-ce que parce que ce masculin et cette majuscule ne nous ont jamais semblé poser problème, il faut voir chez les Inclusif•ve•s (que nous opposerons aux Non-Inclusifs pour le reste de cet article) une interprétation abusive ? Un faux problème ? Alain Bentolila parle même de « batailles pitoyables » : pour lui et pour beaucoup d’autres, s’attaquer à une règle de grammaire c’est se tromper de combat, faire le jeu d’un débat stérile quand d’autres causes plus concrètes demanderaient davantage d’attention.
Y compris en ce qui concerne les noms de professions et de fonctions : pour Sabrina Matrullo, qui revendique son féminisme, le genre masculin ne pose aucun problème : « Je suis une femme, je suis programmeur : je ne vois pas bien comment je pourrais être « dérangée » par le fait d’avoir investi un « bastion masculin ». J’en suis fière, en réalité. »

Claudie Baudino n’a pas tout à fait la même approche… Auteure du Sexe des mots : un chemin vers l’égalité, elle réagit assez vivement à l’incident qui, en 2014, a opposé Julien Aubert à Sandrine Mazetier : pour elle, son « Madame le Président » n’est ni plus ni moins qu’un « argument de pouvoir : c’est pour dire à Sandrine Mazetier qu’elle n’est pas légitime dans l’Assemblée Nationale ». Pour Katherine Marin, adopter une appellation de ce type, c’est même « affirmer qu’une femme occupant un poste d’autorité est une difformité trop peu fréquente pour mériter d’être officialisée dans la langue ».

Sans aller si loin dans l’interprétation, on peut poser une question légitime : pourquoi opposer une telle résistance à la féminisation des titres et noms de métiers, quand on sait que morphologiquement, elle ne pose pas problème ? Le français dit acteur/actrice, instituteur/institutrice, ambassadeur/ambassadrice, danseur/danseuse, chroniqueur/chroniqueuse… Pourquoi docteur et auteur résisteraient-ils ?
La question avait déjà débouché, en 1984, sur la réunion d’une commission de terminologie chargée de la féminisation des noms de métiers et de fonctions, présidée par Benoîte Groult et à laquelle participait notamment Anne-Marie Houdebine : en 1998 paraîtra sous sa direction l’ouvrage La Féminisation des noms de métiers. Aux propos d’une femme Maire, qui préfère l’appellation Madame le Maire en prétextant : « On a pris la place d’un homme, on assume », elle répond :

« On a pris la place? Qu’est-ce à dire? Quelle serait la place réservée aux hommes? Celle d’un être social, ayant un métier, et les femmes, non moins citoyennes pourtant – il est vrai depuis peu en France (cinquante et quelques années) – devraient rester au foyer, être seulement épouses et mères? »

Pourquoi pas ?

En réaction à un argument souvent avancé par les Inclusif•ve•s, à savoir que plus le métier a de prestige, moins on tend à le féminiser, André Perrin répond :

Le site Career Cat a publié les résultats d’une enquête qui a abouti au classement de 200 métiers du plus prisé au moins prisé. En tête de liste on trouve Ingénieur logiciel, Actuaire, Mathématicien, Statisticien, Analyste de systèmes, Météorologue, Biologiste, Historien, Sociologue, Physicien, Analyste financier, Philosophe, Économiste, Astronome … On constate sans peine que la plupart de ces noms se laissent plus aisément féminiser que la plupart de ceux qui se trouvent en queue de liste : Pompier, Marin, Peintre en bâtiment, Soudeur, Chauffeur de taxi, Couvreur, Bûcheron, Docker, Manœuvre … On pourra toujours contester les résultats de cette enquête, réalisée dans un milieu anglo-saxon, mais c’est un fait que les professions intellectuelles sont généralement plus « prestigieuses » que les métiers manuels.

On pourra aussi objecter, d’abord, que prestigieux ou non, reste la question d’un certain nombre de métiers jugés plus masculins : ce jugement est-il lié au genre du nom de métier ? L’enquête n’y répond pas, mais une étude approfondie serait bienvenue. Ensuite, que parler de Peintre en bâtiment, c’est oublier un peu vite le cas de Peintre « tout court »…
Pourquoi pas une peintre d’ailleurs, pourquoi pas simplement une auteur sans e, comme on dit une philosophe, une sociologue (on parle de féminisation minimale) : pourquoi féminiser à tout prix en pariant sur les suffixes ? Faudrait-il dire peintresse ? Si le féminin était si intrinsèquement lié au suffixe, pourrait-on dire la douceur, la chaleur, la candeur ?
Est-ce que féminiser, ou démasculiniser, nécessite de transformer un terme, de le marquer précisément ? C’est cette transformation qui semble gêner Sabrina Matrullo : ainsi, auteure ne la choque pas, contrairement à autrice, sans doute parce que la transformation est minime et imperceptible à l’oral. Elle s’explique sur ce qui lui semble être à l’œuvre dans son propre rejet de certaines formes féminines :

« l’importance des associations pré-existantes entre les mots, leur forme, les sons qu’ils produisent, et la pensée ; des associations brisées par certaines formes d’écriture inclusive »
« J’aimerais pouvoir dire « autrice », comme je dis « présentatrice » ou « auditrice » […] ça me semble être une chose « juste » : la forme de la langue française voudrait qu’on dise « autrice », comme on dit « directrice » […], mais que je n’y arrive pas. Et il y a une raison cognitive à cela. »
« dans mon esprit, le terme « programmeur » […] a été associé, au fil des années, à bien des représentations et des idées, tandis que le terme « programmeuse » à été associé, lui, à pas grand-chose »

Là encore, il ne s’agit que d’une intuition sans aucune étude à l’appui ; mais ce ressenti permet de cerner un peu mieux ce qui dérange, ce qui fait s’élever les voix et crier « novlangue », « ridicule » ou « péril mortel » dès qu’on menace de toucher à la langue : c’est qu’on fait immédiatement appel à quelque chose de senti, d’instinctif. Quelque chose de purement subjectif, en somme, et si le terme programmeuse peut déranger aujourd’hui, à l’inverse, Damourette et Pichon (Des mots à la pensée : Essai de grammaire de la langue française) trouvaient les dénominations masculines appliquées aux femmes « écœurantes et grotesques, aussi attentatoires au génie de la langue qu’aux instincts les plus élémentaires de l’humanité »… D’après eux en effet, le français est assez souple pour décliner n’importe quel nom de métier au féminin, et ne pas en profiter serait absurde.

Écœurantes et grotesques : on n’est pas loin de la difformité dont parlait Katherine Marin… Ce vocabulaire de la monstruosité est assez évocateur : on prête un visage à la langue – « La langue française est une femme. », écrit Anatole France, « Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu’on l’aime de toute son âme, et qu’on n’est jamais tenté de lui être infidèle. » – et la crainte de la défigurer s’invite à tous les débats. Programmeuse, pourquoi pas ? Écrivaine, pompière, professeuse, pourquoi pas ? Il nous semble qu’elle grimace, cette langue, quand elle accepte des mots qui n’ont pas encore d’histoire.

Ou une histoire qu’on a oubliée, car, comme le rappelle Éliane Viennot, plusieurs termes rejetés aujourd’hui pour n’être pas français et taxés de lourdeur existaient bel et bien dans l’usage, avant d’être bannis par des normes prescriptives : ce qu’on tient pour l’évolution naturelle d’un système arbitraire, serait en fait le résultat de décisions motivées par une idéologie sexiste.

Une décision datée

Muriel Gilbert, correctrice au journal Le Monde, confiait à La Grande Librairie qu’elle ne s’était pas forcément posé la question de l’accord jusqu’à l’écriture de son livre Au bonheur des fautes – Confessions d’une dompteuse de mots, n’y voyant alors qu’un détail insignifiant. Mais en apprendre davantage sur la naissance de cette règle a changé la donne…

1651, Dupleix : « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif » (Liberté de la langue françoise)
1767, Beauzée : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » (Grammaire générale)

Au départ, donc, une langue française « très bien outillée pour respecter l’égalité des sexes », dans laquelle « des gens se sont amusés » à introduire du sexisme, selon Éliane Viennot.
Une langue du Moyen Âge, une langue de la Renaissance qui non seulement usait de féminins tels que écrivaine, autrice ou barbière (qui signifiait alors chirurgienne), mais accordait les participes présents, et appliquait la règle de l’accord de proximité – qui veut qu’on accorde avec le genre le plus proche, comme le défend la campagne de 2011 Que les hommes et les femmes soient belles. Éliane Viennot cite ainsi la Grammaire Françoise rapportée au langage du temps (1632), par Antoine Oudin :

« Tous les noms de dignités et d’offices appartenants à l’homme sont masculins : pape, évêque, empereur, roi, comte, conseiller, avocat, procureur, licencié, marchand, etc. [Sont féminins] les noms d’offices et conditions appartenantes aux femmes : reine, comtesse, duchesse, abbesse, nonne, conseillère, barbière».

De son côté, Aurore Evain a retracé l’histoire du mot autrice depuis l’époque latine, et une fois encore, on constate que le débat ne date pas d’hier :

 » C’est également au XVIe siècle que paraissent les premiers traités de grammaire moderne, où commence à poindre le débat sur les genres. « 

Tout au long de son étude, elle cherche à cerner les forces à l’œuvre dans le balayage et la dévalorisation d’un terme féminin, et le rôle possible d’une dimension idéologique dans l’évolution de la langue :

« il en ressort […] que l’existence lexicographique d’un féminin dépend moins des critères d’usage, d’analogie ou d’euphonie habituellement mis en avant, mais bien de la valeur sémantique que le terme recouvre au masculin. Quand cette valeur est forte, plurielle et socialement valorisante, le féminin n’est pas référencé dans les ouvrages sur la langue, même si la place des femmes dans la société peut justifier son emploi. […] Apparaîtra actrice quand le terme acteur se limitera au sens de « comédien » ; disparaîtra autrice quand la fonction « auteur » s’institutionnalisera et se dotera d’un prestige littéraire et social. »

Ses conclusions rejoignent celles d’Éliane Viennot , qui défend que « les condamnations de termes suivent les possibilités, les opportunités que les femmes peuvent ou ne peuvent pas atteindre », et qu’on ne s’est battu contre la féminisation des noms de métiers que lorsqu’ils ont commencé, en pratique, à devenir accessibles aux femmes : au XVIIe siècle, personne ne se bat « contre les mots avocate ou magistrate car il y a des règlements qui empêche les femmes d’être avocates ou magistrates, donc les mots existent… Académicienne est même dans les premiers dictionnaires de l’Académie », fin XIXe en revanche, « quand les femmes peuvent accéder à ces métiers, on se met à lutter contre ces mots-là ! »

Ces règles ont donc une histoire, une motivation peu louable, qui confirme l’idée que féminisation des noms de métiers et accès des femmes à ces métiers sont liés, au départ. Vouloir rétablir l’accord de proximité ou réhabiliter des féminins tombés en désuétude c’est d’abord prendre une revanche contre ces étiquettes. S’offusquer du peu de considération pour les femmes, qui a conduit à légiférer sur la langue dans un sens plutôt que dans l’autre, c’est de bonne guerre.

Mais, toute révoltante que soit cette origine, fait-elle encore sens aujourd’hui ?

D’après Katherine Marin c’est évident : ces règles « n’auraient jamais dû être oubliées ». Mais la vérité, c’est qu’elles l’ont été… Et aujourd’hui, il faudrait les désapprendre. En 2012, le Nouvel Obs publiait déjà des avis sur la question, voici l’un d’eux :

« Pour moi, c’est fichu. C’est que j’ai bien été dressée, figurez-vous. […] Comment détricoter l’écheveau d’automatismes si bien ancrés ? […] Et encore, pour l’écrit, on peut se donner le temps de réfléchir, de revenir en arrière, mais lorsqu’on parle, c’est une tout autre histoire. […] Et puis si, on part par là, ne serait-il pas nécessaire aussi de révolutionner le solfège et ces notes blanches qui en valent deux noires ? »

Car si tenir compte de l’histoire est important au moment de recontextualiser un problème, d’en cerner les enjeux et de comprendre la mécanique à l’œuvre, il est aussi essentiel de considérer le sujet d’un point de vue synchronique : l’ensemble des locuteurs ne connaît pas sur le bout des doigts l’étymologie de chaque mot employé au quotidien, et peu leur importe au moment où ils parlent. Par conséquent, joue-t-elle véritablement un rôle dans leur perception ? Est-ce qu’aujourd’hui, habitués à entendre les mots auteur, docteur, poète y compris pour désigner une femme, les terme n’ont pas recouvert, dans leurs esprits, les deux sexes ?

Revenir à l’état précédant cette masculinisation de la langue, pour certains, c’est omettre que la langue a évolué, nier que les mots ont pris certains sens alors que le pourquoi de cette fameuse règle aurait perdu le sien : on taxe les Inclusif•ve•s de surinterprétation et c’est assez révélateur, la règle aujourd’hui ne se justifiant plus dans les esprits par l’idéologie mais par l’usage.

Après tout, si l’on cherche à lier langue et idéologie, ne faut-il pas, en toute logique, reconnaître les périodes de pré-masculinisation de la langue, autrement dit le Moyen Âge et la Renaissance, comme moins sexistes ?

Épisode suivant :  La langue : un système logique ?

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Laure Gamaury
Illustration : Nina Gamaury