Mei Mercier et Hélène Arthus reviennent dans cet entretien sur la création de la nouvelle méthode de mandarin, la grande nouveauté de ce mois de mars.

Assimil : Quels ont été vos choix et vos priorités pour réaliser la nouvelle méthode de mandarin ?
Hélène et Mei : Les thèmes des dialogues répondent au cahier des charges de la collection « sans peine », qui vise avant tout l’accès à la conversation courante. Nous avons tout autant veillé à la couleur locale des dialogues qu’à leur utilité interculturelle. Chaque fait de langue est explicité et exemplifié au plus simple. Nous pensons que la progression grammaticale et lexicale – très calculée – et la variété des petites notes culturelles embarqueront en douceur nos apprenants vers de nouveaux horizons.

A : Comment vous êtes-vous partagé le travail ?
M. : Je me suis surtout chargée de la conception et de la rédaction des 100 dialogues en chinois.
H. : Et moi, j’ai fait tout le reste ! Bien sûr, Mei a constamment relu et amélioré.
M. & H. : Un vrai travail d’équipe, un solide tandem, ou plutôt un quadrige avec notre éditrice Elodie Pichon et notre correctrice Shui Min. On a bien travaillé, on est trop contentes !

A : Est-ce que les difficultés liées aux sinogrammes et à l’écriture chinoise ont dicté des choix particuliers dans le lexique ?
M. : Non, pas vraiment, puisqu’on vise la compréhension et l’expression orales. En fait, l’écriture des caractères chinois est initiée dans un volume à part en cours de rédaction et dont la sortie est prévue l’année prochaine. Ce volume d’écrit propose une étude active, concrète, crayon en main, via un questionnement simple et des solutions à vérifier. La progression pas à pas va du simple au complexe, des caractères les plus fréquents jusqu’au lexique de la communication écrite au quotidien, avec des petits plus culturels qui relancent l’effort.
H. : Pas mal de gens se mettent au chinois en refusant l’écriture, qui leur fait peur. Bon, disons qu’ils apprennent cette langue… à l’américaine. Plus tard, ils s’aperçoivent combien l’écriture les aiderait à pénétrer davantage, à mémoriser intelligemment, à découvrir une culture forte, à voyager dans le temps, l’espace, la cognition et l’imaginaire. Donc, premier principe posé : les débutants peuvent à leur guise se focaliser sur l’oral. Ils parviennent tout à fait à progresser. Bientôt ils vont reconnaître quelques signes fréquents. Une fois parvenus à un petit niveau d’oral, ils auront plaisir à écrire en caractères chinois sur leur téléphone, tablette et autre… grâce à la saisie en transcription pinyin qui se charge de convertir en caractères. La vraie magie est que, dans la foulée, le décalage oral-écrit finit par s’estomper, même quand l’écrit court loin derrière l’oral. C’est juste une affaire de lièvre et de tortue : chacun son rythme. Ceci dit, nous connaissons aussi des fous du stylo ou du pinceau qui, dès la première leçon, tombent dans la marmite, ou plutôt l’encrier chinois.

A : Est-ce que le fait de travailler à une méthode de langue vous a appris quelque chose sur la manière dont le chinois doit être enseigné ?
H. : En enseignant le chinois depuis ma jeunesse, j’ai appris à l’apprendre aux autres. Aux jeunes, aux moins jeunes, aux retraités, aux élèves “à distance”. Quant l’interlocuteur est loin ou virtuel, eh bien, le professeur a besoin de l’imaginer. De fait, nous prévoyons quatre ou cinq profils de capacité linguistique. J’ai longtemps conçu et rédigé des méthodes de chinois pour le CNED du Futuroscope de Poitiers. Par la suite, je corrigeais les travaux écrits et oraux des inscrits. Là, j’ai vite compris que la moindre imprécision génère l’erreur. Chacun apprend de ses errements !
M.: On apprend toujours en concevant une méthode, d’autant plus si on s’adresse à des apprenants autodidactes. Il faut systématiquement se mettre à leur place. D’ailleurs, je propose – si ce n’est déjà fait – l’ouverture d’un blog pour assimilistes de chinois, un genre de club qui faciliterait leurs échanges, éventuellement avec des interlocuteurs natifs, car l’apprentissage d’une langue n’est jamais une affaire solitaire.

A : Quel niveau peut-on espérer atteindre en allant au bout de la méthode compte tenu des spécificités de la langue chinoise ?
M. et H. : À l’oral niveau B2 selon le cadre européen. On peut alors communiquer avec un degré de spontanéité et d’intelligibilité qui permette une interaction normale avec un locuteur natif. On peut participer à une conversation en situation familière, présenter quelque opinion, voire la défendre ou garder son quant-à-soi.

A : Quelles sont les évolutions majeures de la langue chinoise sur les 15 ans qui viennent de s’écouler ?
M. : La langue orale a forcément beaucoup évolué avec l’ouverture au monde et le long boom économique du pays. Les néologismes sautent d’Internet dans les yeux, les cerveaux, les bouches. Au passage, des anglicismes se faufilent dans les structures de phrase. S’installeront-ils ? En tout cas, l’écriture des sinogrammes reste plus ou moins stable, si ce n’est quelques apocryphes inventés par des Netizens. Ceux-là restent inconnus au bataillon des dictionnaires académiques.
H. : Le chinois évolue plus vite que le français car il est facile de créer un néologisme en combinant deux ou trois de cette multitude de “briques” sémantiques en circulation depuis des millénaires. Les caractères sont recombinables à l’infini. Tel est le paradoxe : une écriture très ancienne qui génère des mots actuels logiquement formés. Prenons un exemple en quatre syllabes-quatre caractères : robotique 机器人学{[(engin+ustensile)+personne]+étude}, soit littéralement “étude des hommes-machines”. Parions que le mot sera encore déchiffrable dans quelques siècles, même si sa prononciation a un peu changé.

A : Quel impact Internet et les smartphones ont-ils eu sur l’évolution du mandarin ?
M. : Internet et les smartphones ont un impact énorme sur la façon de communiquer et le contenu langagier des réseaux sociaux. Selon le buzz du jour, les mots nouveaux se diffusent à toute vitesse via Internet ou Wechat. Ils finissent par s’incruster dans la langue courante du monde réel, ce qui ne va pas sans une certaine vulgarité et violence des propos.
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A : Le chinois va devenir immanquablement la langue n°1 sur Internet dans les années qui viennent, et ce malgré la censure. Mais est-ce que vous pensez que le chinois puisse devenir la langue véhiculaire mondiale et supplanter l’anglais ?
M. : Je ne crois pas, et ne souhaite d’ailleurs à aucune langue de devenir hégémonique. Ceci dit, malgré un engouement soutenu pour le chinois, les Européens n’ont pas encore fait suffisamment d’efforts ni pour apprendre cette langue, souvent jugée exotique ou difficile, ni pour comprendre cette civilisation. Le nombre relativement limité des œuvres chinoises traduites en français en est une des preuves.
H. : Je ne crois pas que le chinois puisse supplanter la suprématie de l’anglo-américain, au XXIe siècle du moins. Voyons déjà ce que va devenir le Yuan. Mais il me plaît de penser qu’une écriture véhiculaire commune pouvant s’oraliser dans différentes langues serait géniale pour l’Europe : ♥ J’aime, I like, Ich liebe, lubię, me gusta, etc. Rêvons !

A : Vous êtes également traductrices de fiction du mandarin vers le français. Quels sont les jeunes auteurs chinois à suivre aujourd’hui ?
M. : Dans la bibliographie proposée en fin de méthode, vous trouverez une liste de romans à lire absolument, que leurs auteurs soient encore en vie ou non.
H. : En tout cas, Mei écrit de chouettes poèmes ! Moi, je traduis de jeunes auteurs comme Han Han et Xu Zechen. Pourquoi eux ? Parce qu’ils vivent et narrent une urbanité populaire, débrouillarde, inventive, amoureuse et désobéissante. Loin de la politique. Encore plus loin des stéréotypes de presse. Une Chine accessible au cœur.

A : Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite commencer à apprendre le chinois ?
M. & H. : Le chinois n’a rien de sorcier. progresser à l’oral est assez facile. Toutefois, il faut essayer de maîtriser les tons dès le départ en écoutant et répétant le flux de la phrase. Nous vous encourageons aussi à vous initier à l’écriture chinoise. En apprenant ne serait-ce que 100 caractères de base, vous naviguerez “sans peine” vers un autre pôle de civilisation humaine.

A : Pour finir, quelle est votre expression idiomatique favorite en chinois ?
M. : 有(yǒu)志(zhì)者(zhě),事(shì)竟(jìng)成(chéng) Vouloir, c’est pouvoir.
H. : Laozi dit : 千(qiān)里(lǐ )之(zhī)行(xíng)始(shǐ)于(yú)足(zú )下(xià) Un voyage de mille lieues commence par un premier pas.

Le chinois, disponible en pack mp3, en pack CD, en pack USB ou en volume seul.